AVANT-PROPOS

"Dure tâche que de s'accomplir" Jacques RIVIÈRE

Par Guy MEYRA

Faut-il légitimer un écrit ?


Gérard Marquès m'a demandé d'écrire ce livre consacré à son oeuvre. Deux sentiments ont prévalu à ma décision de tenter l'aventure : ma passion
1 pour la peinture et ma profonde amitié pour Gérard. Deux raisons d'ordre affectif qui, je l'espère, m'apporteront l'amicale indulgence de nos lecteurs.


N'étant point critique d'art, je tenterai simplement de découvrir l'homme, le peintre, à travers son oeuvre, je tenterai seulement de proposer un regard, mon regard, conscient que d'autres pourront et sauront traduire leur propre message. Je crois en effet que l'art n'existe pas en soi et qu'il naît de chaque rencontre avec le spectateur, dans un perpétuel éclatement, source de dialogues. Je serai alors certain d'avoir répondu à l'appel de Gérard Marquès si j'ai pu susciter cet échange.


Gérard Marquès. Comment parler de Gérard Marquès ? Comme tout artiste, n'est?il pas insaisissable ? Et lui, plus que tout autre, < ondoyant et divers», hésitant à fixer sa palette et dérobant sans cesse, à nos yeux imposteurs, sa vraie personnalité. Nous tenterons de le cerner à travers ce qu'il cache ou ce qu'il laisse échapper : ses sujets favoris, les titres de ses oeuvres, les couleurs de sa palette.


Peintre figuratif ? Sans aucun doute. D'aucuns jugeront cette forme d'art dépassée. Mais savons?nous où est la modernité ? Et peut?on dire qu'en 1987, il y ait seulement un art < modernes ? L'art contemporain est le plus souvent l'expression d'un néo?dadaïsme qui, de plus, nous revient par l'intermédiaire des Allemands ou des Américains, quand il n'est pas, hélas, quelque forme d'imposture. D'ailleurs, peut?on parler de classification, l'art d'une époque étant le fruit de courants parallèles, parfois très anciens, qui coexistent, même s'ils s'opposent ? Le musée d'Orsay en est une très belle illustration puisqu'il réunit des tendances aussi différentes que l'art pompier, la photographie et l'impressionnisme. Gérard Marquès continue pour sa part ce courant de peinture qui allie technique (donc travail) et sensibilité, face à des artistes qui privilégient l'intellectualisme à outrance.


La force de Gérard Marquès vient aussi de ce qu'il prend ses racines dans ce petit village de Salles?sur?Garonne, loin des cénacles parisiens, près de ceux qui aiment les choses simples et sincères. Aussi refuse?t?il l'art aristocratique où l'hermétisme traduit un souverain mépris d'autrui.


Il participe donc le moins possible à des salons ou à des expositions, même s'il est très sollicité.

Peintre académique ? Non. Si ce n'est dans l'essentiel : la technique, qui met en place les structures maîtresses de l' oeuvre et qui contrôle la création. Gérard Marquès est un classique au sens noble du terme car il tente un difficile équilibre entre coeur et esprit pour reprendre la formule d'André Lhote.

Faudra-t-il chercher les clés de cette oeuvre dans la vie du peintre que nous évoquerons un peu plus loin ? Non. Il convient de désacraliser l'art. Pas d'épopée prométhéenne, pas d'aventures de feu et de sang, pas de vie exceptionnelle qui puisse amener le critique à un rapprochement systématique avec la biographie. Aussi est?ce seulement dans l'oeuvre qu'il faut aller à la rencontre de l'homme.

Ses sujets sont très variés, allant du paysage au rêve en passant par le portrait et la nature morte. L'art de Gérard Marquès est pondéré, son oeil toujours scrutateur, chargé d'interrogation. Il crée des instants d'éternité en cherchant des moments d'apaisement. On ne peut véritablement discerner d'évolution quant aux thèmes, mais une structure antithétique où les ténèbres et l'angoisse s'opposent à la lumière et aux images de conquête, un langage pictural souvent teinté de mélancolie et de gravité.

Les titres sont au contraire plus révélateurs de l'homme. D'ailleurs, une toile a?t?elle besoin d'un titre ? Erreur selon nous que renforce cette habitude imposée par l'art pompier de chercher ce que représente l' oeuvre d'art, question qui occulte le pouvoir souverain du regard et de la sensibilité. Mais le titre est avant tout un « titre de reconnaissance », donc de communication avec le spectateur, voilà peut?être sa signification. Il révèle le peintre plus que l'oeuvre elle?même. Michel Butor (Des mots dans la peinture) écrit ceci : « il y a des titres éclatants, des titres qui sont des poèmes, qui se proclament ou se déclament ou se distillent, comme ceux des surréalistes ; il y a aussi des titres de discrétion, ceux qui cherchent à se faire oublier, qui nous murmurent, comme avec une toute petite voix : ne me regardez pas, ne faites pas attention à moi, je suis à peine un mot. » C'est à ce dernier registre qu'appartiennent les titres des oeuvres de Gérard Marquès. Nous y voyons deux raisons : la pudeur sans doute, l' oeuvre étant souvent « prétexte » qu'il ne faut pas dévoiler, se dévoiler aussi. Mais un certain refus aussi du mot libérateur de l'être : le titre conventionnel étant un moyen de se raccrocher à la réalité la plus neutre.

Les compositions ne sont guère significatives, sauf peut?être dans la dernière période où le pouvoir créateur engendre les formes et où le temps et le mouvement destructurent le paysage classique dans un geste pulsionnel qui est «Moderne»


Le choix des couleurs va nous dévoiler l'artiste avec plus de certitude. Chez Gérard Marquès, la couleur n'est pas l'objet premier de la peinture, elle n'est jamais exaltée pour elle?même, elle n'est pas là non plus pour renforcer une ligne, mais elle est la ligne elle?même. La couleur fait le dessin, elle est « respiration». D'où ces glacis successifs qui permettent une imprégnation plus obsédante. Une étude d'ensemble de l'oeuvre du peintre nous conduit à suggérer une symbolique de la couleur, marquée par deux dominantes : l'orangerouge et le bleu.

Le premier, associé au sang et au feu est, si l'on en croit les alchimistes, l'apothéose de la transmutation du noir (la mort et le chaos primordial) en passant pat le blanc (purification). Peut?être est?ce là le sens qu'il faut donner à ces villes en flammes (« Venise > , « Toulouse ») ou à ces teintes orange de plusieurs paysages, couleur de Dyonisos, dieu de la vigne, ivre de la substance du monde. Le bleu, couleur profonde où s'enfonce le regard, représente l'équilibre, il crée un climat d'irréalité, de transparence ; il symbolise l'envol vers les sphères sacralisées et la liberté créatrice de l'esprit.

Nous comprenons maintenant pourquoi Gérard Marquès n'aime pas le vert dont Goethe disait : K l'oeil et l'âme reposent en ce mélange comme un élément simple. On ne peut aller au?delà... N. Kandinsky affirmait à son tour que « le vert absolu est dans la société des couleurs ce qu'est la bourgeoisie dans celle des hommes : un élément immobile, sans désirs, satisfait, épanoui... ». Il serait donc à l'opposé de toute aspiration artistique.

Je ne sais si j'aurai réussi à rencontrer Gérard Marquès à travers son art. J'étais parti à la recherche d'une oeuvre, d'un peintre, j'ai trouvé une âme dans le difficile accomplissement de soi.

Je laisse le lecteur tenter à son tour sa chance en le livrant à la contemplation de ces oeuvres, convaincu qu'elles le toucheront parce qu'elles sont l'expression d'un combat, d'un apaisement, d'un dépassement ou d'un refus, d'une interrogation, de la vie et de son énigme.


Guy MEYRA